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Nous sommes des dizaines de citoyens qui, comme des milliers d'autres, estiment que le monde contemporain est traversé par toute une série de crises liées entre elles : une crise environnementale, une crise économique et financière, une crise politique et une crise morale.
Notre originalité est de considérer que celles-ci ont une cause commune : le développement exponentiel des techniques au fil des deux siècles écoulés.

La crise environnementale
Par des moyens techniques toujours plus puissants et sophistiqués, les sols, les sous-sols, les airs, les océans sont pillés et pollués, et l'ensemble de l'équilibre écologique planétaire est menacé. Les hommes ne savent pas envisager leur survie autrement que sous la forme d’une croissance sans fin (qu’ils érigent en dogme) mais le sentiment de toute puissance que fait naître en eux l’usage de leurs techniques leur fait totalement oublier le fait que leurs ressources naturelles, elles, sont limitées.

La crise économique et financière
Ce productivisme est devenu effréné résulte non seulement du fait de la multiplication et de la sophistication croissante des techniques de production mais aussi du fait du perfectionnement des techniques de circulation des capitaux. Celles-ci ont favorisé le développement de la finance par rapport à « l’économie réelle », obligeant les États et les entreprises à déréguler, donc à se mettre sous sa coupe. Avec l’algotrading, la spéculation finit elle-même par échapper à tout contrôle rationnel.

La crise politique
Dépassés par les événements, et afin de sauver la face, les pouvoirs politiques en sont réduits à des manifestations gesticulatoires, du type G8 ou G20. Et pour maîtriser les échanges, ils font appel à des organismes techniques tels que l’OMC, le FMI, et la Banque Mondiale. Mais la multiplication des acteurs et surtout le fait que les techniques productives et financières sont devenues autonomes, ces organismes ne sont pas davantage capables d’endiguer la situation. De son côté, et malgré ses efforts pour se structurer, le mouvement de contestation citoyenne n’a pas intégré l’autonomisation de la technique et continue de se référer aux grilles de lecture marxistes et/ou keynésiennes que celle-ci a rendu obsolètes.

La crise morale
La suprématie de la technique faisant primer le souci d’efficacité sur tout autre critère, elle a pour corollaire le développement de l’esprit de concurrence et l’épuisement des valeurs traditionnelles. La crise morale est ainsi à la fois la cause et la conséquence des trois précédentes. Elle en est la cause depuis que la recherche du confort matériel et du profit occulte toute autre considération (notamment d’ordre spirituel) et finit par justifier et légitimer le pillage de la nature, les inégalités sociales et l’effritement du pouvoir politique. La notion de richesse, étant réduite à celle de pouvoir d’achat, occultant tout esprit de convivialité. La crise morale est la conséquence des trois autres crises dans la mesure où l'homme fait partie des victimes du pillage et des destructions. Son corps mais aussi sa conscience sont altérés.

A la différence d'une grande majorité d'intellectuels, d'experts et de citoyens, nous considérons que ces quatre types de crises ont une origine commune, que nous appelons « la Technique ».

Selon nous, c'est le développement exponentiel des techniques qui constitue l'élément le plus déterminant du monde contemporain. La technique a cessé d'être ce qu'elle était depuis des siècles, à savoir un ensemble de moyens créés par l'homme afin de lui permettre de surmonter, dépasser, contourner... au mieux les contraintes naturelles. Certes, on pourrait considérer que les techniques ont conservé ce statut. Nous pensons toutefois qu'il n'en n'est rien. La situation d'ensemble a considérablement évolué depuis un siècle. Les moyens techniques se sont tellement développés, multipliés, sophistiqués... et surtout, ils ont tellement été connectés entre eux que, dans les grandes métropoles (là où s'opèrent les grandes décisions portant sur la gouvernance du monde) ils sont devenus un milieu à part entière, au même titre qu'autrefois la nature.

Mais de même qu'autrefois l'homme s'assignait la tâche de redoubler d'efforts pour composer avec les contraintes de l'environnement naturel, aujourd'hui, il est obligé de prendre d'incommensurables précautions pour composer avec les contraintes de son nouvel environement : le sysème technicien. Plus grave, ces précautions ne suffisent pas à garantir le contrôle des opérations. Les exemples les plus caractéristiques qui le démontrent sont sans aucun doute le scandale économique causé par la chute de la banque Lehmann Brothers, aux USA, et la perte totale de contrôle de la centrale atomique de Fukushima, au Japon. "Accidents" qui ont provoqué d'innombrables victimes (dont le nombre ne cesse de croître) alors que strictement rien ne garantit que d'autres accidents de ces deux types ne se reproduiront pas.

Ce qui nous amène à élaborer cette analyse du monde contemporain, c'est :

- une observation aiguë et rigoureuse de celui-ci ;

- un ensemble de diagnostics établis par différents penseurs du XXème siècle, dont nous considérons qu'ils sont d'autant plus éclairants aujourd'hui qu'ils ont été hier sous-estimés, voire ignorés.