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12 février 2014

L HOMME ECONOMIQUE Extrait cahier Jacques Ellul "l'économie".

L économie, maîtresse ou servante de l'homme?

L'économie doit être servante de l'homme mais elle en est sa maîtresse parce que l'homme est englobé dans l'économie et n'a plus d'autonomie face à cette créature indépendante. L'homme moderne se confond de plus en plus avec l'homo économicus conçu comme un simple  modèle heuristique par les économistes du XVIII° siècle. Il existe avant tout désormais en tant que producteur et consommateur. Le socialisme comme le capitalisme asservissent l'homme à l'économie en y intégrant le spirituel. L'homme idéal pour l'économie moderne est un technicien, hygiénique, vivant dans le confort et dans l'immédiateté, travaillant beaucoup et évitant de se poser des questions morales ou métaphysiques. Or la mystique du travail n'est pas plus chrétienne que l'apologie de la consommation. Il s'agit donc de mettre l'économie au service de l'homme et non plus l'homme au service de l'économie.

 Lorsque j'ai réfléchi à la question qui était proposée: "l'économie, maîtresse ou servante de l'homme", j'ai eu l'impression que je me trouvais déjà devant une question dépassée. Et c'est peut-être le problème le plus difficile de notre temps d'aller aussi vite que lui, et c'est pourquoi beaucoup de réformes que l'on vous a décrites ici et qui sont toutes valables par un certain côté au regard de Dieu, sont cependant toutes déjà des réformes du passé, et il nous faut toujours trouver quelque chose de plus, quelque chose qui va plus loin, quelque chose qui va aussi vite que notre temps.

Il me semble que c'est un problème vain de vouloir réduire l'économie au service de l'homme par des moyens humains et par des moyens techniques. Je crois que nous sommes en présence d'une évolution fatale, avec un système économique toujours plus envahissant, toujours plus développé, asservissant l'homme, subordonnant la politique, subordonnant la vie culturelle et intellectuelle; et comme preuve de cela, il nous suffit de penser que toute la vie intellectuelle d'une nation est pratiquement entre les mains des éditeurs et entre les mains des producteurs de films et entre les mains des propriétaires de stations de radio. Voilà ceux qui détiennent la vie intellectuelle d'une nation, et vous comprenez comment la vie économique domine, de ce fait, la vie intellectuelle et culturelle et comment elle domine aussi la vie spirituelle; car, enfin, nous ne pouvons pas prétendre que nos Eglises soient libres à l'égard de l'économie, d'autant plus que le problème de la vie matérielle, se pose aujourd'hui plus gravement que jamais, et, par conséquent, nous voyons là aussi que l'évolution économique envahit le domaine spirituel.

S'il s'agissait dès lors de répondre simplement à la question: l'économie, maîtresse ou servante de l'homme? La réponse serait simple je crois. Nous dirions simplement: l'économie doit être servante; l'économie est maîtresse, et nous n'y pouvons rien; nous ne pouvons rien y changer restons en là.

Sans doute, nous pourrions disserter intellectuellement et fort agréablement. Nous pourrions nous demander pourquoi il en est ainsi, s'il est légitime que notre société fermée se constitue autour de l'économie, c'est-à-dire que l'économie devienne le centre, le centre vivant d'où sortent toutes les forces qui animent une société, devienne le centre de cette société et conditionne tous les éléments de cette société.

Nous pourrions nous demander s'il est souhaitable que nous vivions tous plus ou moins sur une idéologie économique. Nous pourrions ainsi étudier des problèmes; nous pourrions prendre des positions intellectuelles, et tout cela ne servirait pas à grand-chose.

Or, aujourd'hui, il s'agit de plus que tout cela; il s'agit de plus parce que, comme je le disais, le problème économique posé tout à l'heure est un problème dépassé.

Nous sommes en présence d'un phénomène nouveau: le phénomène nouveau, c'est que l'homme n'est plus en face de l'économie. Vous comprenez que, lorsqu'on dit que l'économie est maîtresse ou servante de l'homme, cela signifie qu'il y a l'économie d'un côté, et l'homme de l'autre, et qu'il y a des rapports à établir entre eux et que ces rapports peuvent être différents.

Or, cette autonomie de l'homme par rapport à l'économie est en train de disparaître, et c'est, je crois, le grand phénomène de notre temps. C'est le phénomène sur lequel il faut que nous ayons notre attention attirée, parce qu'il nous concerne et regarde notre personne humaine à chacun de nous.

L'homme n'est plus en face de l'économie une créature indépendante: l'homme est englobé dans l'économie. Il appartient à l'économie, corps et âme. C'est cela le problème grave, c'est l'apparition de ce que l'on peut appeler "l'homme économique". Le problème n'est plus dès lors celui que l'on pose toujours: de l'homme opprimé par l'économie. Si vous voulez l'exemple le plus simple: le problème de l'ouvrier à qui les conditions économiques font une vie difficile. Le problème de l'ouvrier qui n'est pas assez payé tout simplement. Si nous en étions encore là, il y aurait beaucoup d'espoir pour les moyens techniques.

Mais voici que maintenant nous assistons à un homme qui est créé de toutes pièces, de l'intérieur, par l'économie. L'homme économique, l'homo économicus, n'était au début, il y a  cent cinquante ans, qu'une hypothèse. Une hypothèse des économistes pour raisonner plus commodément, pour construire leur système économique plus simplement. Et vous comprenez la raison: si l'on considère l'homme dans sa totalité, c'est un phénomène beaucoup plus complexe pour pouvoir raisonner sur cet homme, un phénomène beaucoup trop difficile à réduire en formules pour s'en servir dans les problèmes économiques.

Dès lors on dira: nous abandonnons momentanément toute une part de l'homme. Nous ne considérons l'homme que sous un aspect, son aspect de producteur et de consommateur, c'est tout. L'homme n'est pour nous, économistes, rien d'autre que cela: producteur et consommateur. On fait abstraction de tout le reste. Par conséquent, l'homme a pour fin de produire, l'homme a comme élément essentiel de sa vie sa vie matérielle. Dans ces conditions, nous pouvons raisonner, nous pouvons faire un système économique en ne considérant l'homme que de cette façon.

Seulement, ce mode de raisonnement, qui a été courant chez tous les économistes libéraux au début du 19e siècle, s'est heurté à un obstacle sérieux : c'est que lorsqu'on voulut appliquer dans la pratique les théories issues de ce raisonnement, elles rencontraient l'homme naturel, l'homme qui n'était pas simplement un producteur et un consommateur, et alors il s'est révélé que cette théorie, vraie sur le papier, devenait fausse. Et les économistes libéraux s'en sont parfaitement aperçus lorsque, par exemple, un économiste anglais libéral comme Bastal écrit cette phrase prodigieuse que j'aime à citer : "l'homme pèse sur l'économie".

La situation est en somme à peu près celle-ci. Nous avons un système économique qui fonctionne très bien ; mais, voici qu'il y a une espèce de petit trublion qui empêche que ça tourne, et c'est l'homme ; et on se demande ce qu'il vient faire dans cette affaire d'empêcher le système économique de fonctionner. Et alors, on s'est appliqué, plus ou moins consciemment, peut-être pas consciemment du tout, à simplifier en fait cet homme à ces deux termes : produire et consommer. Et cela a été l'oeuvre du capitalisme dans le cours du 19e siècle ; et, au fond, l'homme acceptait fort bien qu'il en soit ainsi, à cause des avantages énormes que lui apportait un système économique comme celui du capitalisme. Il l'acceptait fort bien parce qu'on édifiait une morale du travail ; on montrait que le travail est la valeur suprême de la vie, on en faisait une valeur spirituelle, comme on l'a fait dans la société bourgeoise du 19e siècle : "qui travaille prie".

De même cette solidarité des hommes dans le travail, tous ces biens nouveaux qui apparaissent au XIX° siècle, ont produit tout le confort, toute cette merveilleuse création de l'industrie du XIX° siècle. C'était infiniment facile de dire à l'homme: vous voyez, tout ce que l'on vous apporte, et, pour cela, on ne vous demande pas grand chose: seulement d'être producteur et consommateur. Ce n'a pas été seulement quelques économistes ou patrons machiavéliques qui ont fait cela; ce sont tous les hommes de bonne volonté, qui, petit à petit, ont tout poussé dans cette voie, qui ont montré à l'homme l'évidente bonté de ce système et, par conséquent, l'évidente nécessité d'abandonner une part de lui-même. Il était facile de convaincre l'homme d'abandonner, par exemple, sa liberté au profit de la sécurité, et cela a produit un type de civilisation qui était brillant, mais qui n'était pas sans danger, parce que, quand même, des homme se révoltaient contre cette nécessité d'abandonner des aspirations humaines. Et je pense à ces révoltes de socialistes au début et au milieu du XIX°siècle, qui étaient des révoltes spiritualistes, d'hommes qui défendent la liberté de l'homme, qui défendent la justice, des valeurs spirituelles. Les réactions socialistes de cette époque ne sont pas seulement des réactions contre le patronnat, mais contre une abdication spirituelle de l'homme.

Enfin, Karl Marx vient et réussit le tour de passe-passe le plus prodigieux qui soit, et qui consiste à transformer ce socialisme défendant la personne même en un socialisme qui asservit l'homme à l'économie et qui l'asservit d'une façon infiniment plus habile que les capitalistes n'avaient pu le faire. Car alors, comme nous l'avons vu, le système libéral abandonnait toute cette part de l'homme qui gêne l'économie. Karl Marx dit: "au contraire, prenons cette part de l'homme et intégrons-la dans l'économie"; c'est-à-dire Karl Marx nous dit: il y a deux éléments, il y a l'infrastructure matérielle et la superstructure spirituelle. La superstructure spirituelle a deux issues: ou bien elle reste absolument dans les nuages, sans aucune importance, ou elle va s'intégrer dans la réalité et devenir un poids dans la réalité. Elle va influencer le cours de la réalité, mais alors elle devient une force économique et ainsi, par cette vue absolument géniale de la situation -géniale mais démoniaque- on en vient à faire asservir la vie spirituelle à la vie économique, à asservir le spirituel de l'homme à l'économie. Et les fascistes n'ont fait qu'imiter cela lorsqu'ils disent: les communistes sont d'affreux matérialistes, nous, nous sommes spiritualistes. Ils défendent l'esprit pour faire asservir l'esprit à la grandeur d'un Etat ou d'une race, c'est-à-dire à des fins matérielles. C'est le même procédé, et alors l'homme est vraiment intégré dans l'économie. Il n'y a plus rien de l'homme qui soit au-dehors et c'est cela que signifiait cet énorme et prodigieux mouvement mystique que l'on constate dans tous les états totalitaires, et le mouvement mystique russe tout entier centré sur le travail et la production, mouvement mystique qui donne lieu à des scènes d'ordre vraiment religieux. L'homme alors est beaucoup plus porté à accepter ce système parce que, justement, il ne sent plus l'objet de l'économie. En réservant sa place spirituelle, on la fait servir, mais on l'a monte en épingle, on la montre, alors qu'auparavant, on cherchait à l'éliminer.

Le système a, bien entendu, été imité par les Américains qui se sont en effet aperçus qu'on ne pouvait négliger les forces spirituelles pour l'organisation économique, et alors, on a trouvé des formes tout à fait remarquables. Par exemple, Ford, divisant la Bible en 365 parties égales et faisant lire chaque jour à tous ses ouvriers un 365° de la Bible, pour être assuré qu'ils liraient toute la Bible dans l'année, convaincu que ce traitement spirituel améliorait la production...et c'était vrai.

De même, après de nombreuses enquêtes et de nombreuses statistiques, on s'est aperçu que les fils de pasteurs réussissaient dans les affaires d'une façon infiniment supérieure à tous les autres. On s'est demandé pourquoi, et on a dit: parce qu'ils appliquent une morale beaucoup plus rigoureuse. Donc, nous allons appliquer une morale rigoureuse dans les affaires pour réussir, et vous savez que celui qu'en Amérique on appelait "la pieuvre", Rockfeller le père, était en effet d'une moralité à tout épreuve. Il n'y a rien à lui reprocher. Il a vécu une vie ascétique et il était cependant "la pieuvre", l'homme qui a réduit des millions d'êtres à la misère, ou a la sujétion la plus complète. Et cela parce que la spiritualité sert à une fin économique. Le système communiste et le système capitaliste se retrouvent parfaitement unis et se rencontrent pour réduire également l'homme à cet être économique, et ils ne se séparent que sur les moyens, le système communiste étant plus rigoureux en ce qui concerne l'élimination de tout ce qui n'est pas compatible avec son totalitarisme économique. Mais alors, quel sera cet homme qui nous apparaît comme absolument fermé et qu'il nous faut connaître.

 Il nous suffit de regarder les affiches dans la rue et nous connaîtrons l'idéal de l'homme de notre temps. Car enfin, si on vous présente sur les affiches un type d'homme ou de femme c'est bien parce qu'il représente l'idéal de notre temps, et alors vous n'avez qu'a voir le bon papa Kruschen qui a comme idéal d'arriver à la soixantaine grâce à sa petite dose; le bébé cadum et voir aussi tous les journaux qui nous présentaient les "Hitlerjugend". Et maintenant, les journaux nous représentent les girls américaines. Ce sont des types d'hommes qui ne sont pas tout à fait l'homme d'aujourd'hui mais certainement l'homme de demain: un homme sain de corps, parfaitement hygiénique, vivant dans le confort le plus parfait, élevé pour le travail. Travaillant dans la joie, ne pensant jamais, ce qui ne veut pas dire qu'il est bête. C'est un très bon technicien, et pas un intellectuel, c'est-à-dire ce n'est pas un homme qui se regarde lui-même et qui fait sa propre critique, qui fait ses expériences à lui, qui les assimile, les interprète, et qui en apporte le témoignage aux autres. Pas un homme qui regarde l'homme, mais les choses. Pas un homme qui a un prochain, mais qui a des objets en face de lui, et qui s'en sert.

Voilà l'opposition entre le technicien et l'intellectuel, et le technicien tuera l'intellectuel. C'est un homme qui n'a pas de sentiments personnels. Il a beaucoup de sentiments que lui donnent le cinéma, la T.S.F, la presse et, dans cette foule énorme de sentiments, d'impressions, au sens littéral, de choses qui sont imprimées sur lui et en lui, comment voudriez-vous que se glissât un sentiment personnel? Il n'a pas de problème moraux car c'est un réaliste, qui voit les choses pratiques, comme il faut les faire, comme tout le monde les fait. Il n'y a pas de problème: il y a les choses qui réussissent et il y a les choses qui ratent, et il vaut mieux les faire celles qui réussissent. Il ne fait pas de scandale, car c'est ce qui vous met au ban de la société. Voilà les éléments de la morale de l'homme économique. Il n'a plus de problèmes moraux et tout cela fait quand même un homme parce qu'il y a une mystique extèrieure qui fait qu'il négligera la mort, qu'il acceptera tous les ordres, qu'il travaillera avec férocité, parce qu'il a un dévouement à toute épreuve et ce n'est pas sans grandeur.

Mais l'homme en question est à jamais privé d'inquiétudes par exemple. Il n'a pas d'inquiétude pour le lendemain, car l' Etat a tout prévu pour lui, par toutes les assurances possibles. Il n'a pas d'inquiétude quand à la mort, car la mystique supplée à tout. Et cet homme économique permet de résoudre les problèmes économiques. Il est exactement à sa place dans le monde économique. A partir de cet homme on peut régler les problèmes économiques techniquement, sans craindre aucun trouble humain.

Voyez-vous, ici, nous atteignons un des points essentiels du problème économique de notre temps. C'est que résoudre les problèmes économiques suppose la suppression de l'inquiétude spirituelle de l'homme et, si vous croyez que j'exagère, vous n'avez qu'à lire, par exemple, la description que Lénine fait de l'homme et, plus près de nous, Aragon.

Les recherches relatives à la psychotechnique n'ont qu'un but, celui de réduire l'homme rigoureusement à ce rôle d'être le serviteur d'un système économique, car l'homme économique, c'est l'homme tel que l'économie le désire. Et ce qui est très remarquable, c'est que l'homme ne réagit pas contre cette décadence. Nous ne réagissons pas, et nous ne réagissons pas pour une raison très simple, c'est que nous sommes tous également convaincus que ce qui compte d'abord, c'est qu'il faut à tout prix résoudre les probèmes économiques. Ces problèmes économiques sont obsédants, nous voyons les difficultés constantes dans la vie de tous les jours et nous pensons: "tout, mais pas ça". Nous acceptons n'importe quoi, pourvu que ces problèmes économiques soient résolus. Et si cet ordre réussit, nous n'avons plus rien à désirer. L'homme n' a plus rien à désirer.

Et, dans ce monde, l'Eglise a encore une place. Elle est servante de cet ordre; elle doit aider à l'organisation économique; elle doit apprendre à l'homme à être un bon travailleur, un bon citoyen, un bon père de famille. Elle doit marier et enterrer les hommes, et elle doit aussi, ce qui est fort important, rassurer les hommes sur le salut de leur vie spirituelle, parce que c'est une des conditions essentielles pour la bonne marche de l'économie. Voilà la place de l'Eglise, et il faut bien le reconnaître que, dans les sociétés que nous connaissons, l' Eglise ne tient pas une beaucoup plus grande place que cela.

Seulement, voilà, tout marche très bien, mais on se heurte à un fait auquel ni vous ni moi ne pouvons rien, sur lequel on ne peut revenir: c'est que Jésus-Christ est né, qu'il est mort et qu'il est ressuscité. Ce fait, on ne peut l'effacer, et alors l'Eglise, si fidèle qu'elle soit, si asservie à l'Etat et aux puissances économiques qu'elle soit, il lui arrive par moments de se rappeler qu'elle a en effet un Seigneur, qui a vraiment vécu, qui est vraiment mort, et qui est vraiment ressuscité. Et alors, lorsque l'Eglise se rappelle cela, elle réalise brusquement qu'elle doit défendre l'homme, non pas parce qu'il aurait une valeur éminente en lui-même, mais qu'elle doit le défendre contre cette oppression économique, à cause de Jésus-Christ, pour que cet homme puisse entendre une parole de Dieu qui lui est adressée.

Et l'Eglise, alors, quelquefois, et peut-être dans notre temps, en ce moment même, se réveille, et l'Eglise reprend la Parole, et l'Eglise défend l'homme. Et je dirai qu'aujourd'hui, il n'y a plus que l'Eglise pour défendre l'homme; et il n'y a plus que l'Eglise, car personne d'autre ne met en question que le bonheur de l'homme lui viendra par la richesse, par la puissance, par un plus grand confort, par une plus grande consommation de biens, et les humanistes les premiers sont d'accord pour aller dans ce sens. Il n'y a plus que l'Eglise, non pas parce qu'elle aurait une vertu quelconque, mais lorsqu'elle se rappelle Jésus-Christ.

Et cette défense de l'homme par l'Eglise que, seule, elle assume aujourd'hui, elle ne se situe pas dans le domaine corporel ou intellectuel. L'Eglise défend l'homme dans quelque chose qui n'est pas exprimable, elle le défend dans sa puissance d'inventer, dans sa puissance de jugement, de conscience, de souffrance, de personnalité, dans sa puissance d'exigences aussi, et cela, c'est quand même ce qui fait vraiment l'homme. Et cette défense de l'homme, comment l' Eglise doit-elle l'assumer? Est-ce que cela consiste seulement à dire: tout ce que nous faisons est néant et mortel, tout cela doit être brisé et laissons l'homme sur les ruines de ce monde. Non, car l'Eglise sait, parce que Dieu le révèle, qu'il existe un ordre dans lequel Dieu place l'homme pour que cet homme puisse vivre normalement. Non pas pour qu'il soit un saint, mais simplement, vraiment un homme. Un ordre qui n'est pas une loi, dont Dieu révèle simplement les grands points, les grandes lignes de force. Un ordre nécessaire à la  conservation du monde sans lequel survient soit la mort du monde, soit la mort de l'homme. Un ordre qui est fondé essentiellement sur la liberté de l'homme, sur sa délivrance, sur sa libération. Et sans doute, il y en a beaucoup d'autres que l'Eglise qui ont parlé de cette libérté, qui l'ont affirmée; et je pense par exemple aux anarchistes, à la grande expèrience anarchiste, de libérer un jour complètement l'homme de toutes les contraintes, où aboutit-elle? C'est quand même là le problème. Elle aboutit en fait à livrer l'homme à lui-même, à son propre péché.

 Je pense aussi à la grande expérience de libération de l'homme des communistes, lorsqu'ils disent: lorsque le régime communiste sera établi, l'homme sera vraiment libre parce que tous ses besoins seront satisfaits. Mais pour satisfaire tous ces besoins, que faut-il? Il faut toujours plus développer l'économie, il faut toujours plus travailler, faire des plans économiques, toujours plus créer cet homme économique, c'est-à-dire que l'on donnera la liberté à quelque chose qui n'est plus l'homme. Et pourquoi alors?

Seul l'ordre voulu par Dieu assure la liberté à l'homme parce que cette liberté est fondée sur autre chose que sur une transformation des institutions; elle est fondée sur le pardon que Dieu donne à l'homme qui le libère de lui-même, et aussi des puissances démoniaques qui asservissent l'homme. Mais cette délivrance, cette économie fondée sur la liberté de l'homme, doit s'incarner dans les faits. Elle doit se marquer dans une opposition à l'emprise du travail sur l'homme, à l'emprise de la mystique du travail sur l'homme. Un chrétien par exemple ne peut pas apprendre à ses enfants que la valeur dernière, c'est le travail; il ne peut pas donner comme but à ses enfants de se faire une belle situation, les faire vivre, comme dans combien de familles bourgeoises, dans l'obsession du jour où ils auront à gagner leur vie ou à succéder à leur père. Combien d'étudiants ai-je vus dans mes cours qui ont toujours été élévés dans cette idée que la seule chose qui compte, c'est d'arriver à avoir une profession bien en vue de la société. Cela n'est pas possible; c'est une emprise du travail absolument anti-chrétienne.

Et la mystique du travail est également anti-chrétienne. C'est l'emprise du travail sur l'homme qui n'est pas possible dans un ordre voulu par Dieu.

 

 

 

 

Conférence publiée dans L.Maire et alii, pour une économie à la taille de l'homme 1947

 

 

Je vous ai transmis, comme un enseignement de première importance, ce que j'avais moi-même reçu: le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Ecritures; il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour, comme l'avaient annoncé les Ecritures. Il est apparu à Pierre, puis aux Douze. Après cela, il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore aujourd'hui - quelques uns d'entre eux seulement sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Après eux tous, il m'est aussi apparu, à moi le "moins que rien".1

Oui, je suis le moindre des apôtres; je ne mérite pas de porter le titre d'apôtre, puisque j'ai persécuté l' Eglise de Dieu.

1Corinthiens 15.3-9

1 Littéralement: l'avorton. Paul reprend sans doute un sobriquet par lequel ses adversaires le désignaient.

 

 

 

 

 

 

 

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