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29 décembre 2013

Propagandes d'hier et d'aujourd'hui. André Vitalis/ Cahier Jacques Ellul.

Le mot "propagande" fait un retour en force aujourd'hui. On croyait ce mot réservé à la description de la situation de pays totalitaires, passés ou actuels. On s'aperçoit que ce mot est pourtant parfaitement approprié pour décrire certaines réalités des pays démocratiques les plus évolués. On peut être étonné de ce retour en force dans la mesure où l'homme démocratique semblait préservé de cette manipulation et où les études les plus récentes sur la communication mettent généralement l'accent sur le pouvoir et la liberté de choix du récepteur.

L'actualité de la propagande est d'autant plus grande si on lit Jacques Ellul que celui-ci ne limite pas le phénomène à la sphère politique mais l'envisage comme un phénomène plus général de la société technicienne. L'évocation du contexte de son étude de la propagande à la fin des années 50 permettra de mieux faire apparaître l'originalité de son apport, avant de montrer tout l'intérêt de la pensée ellulienne pour analyser la situation actuelle.

Le contexte de l'étude de la propagande à la fin des années 50

A la fin des années 50, le monde est encore marqué par le souvenir des propagandes nazie et fasciste et par une propagande soviétique persistante. Les pays démocratiques connaissent parfaitement le phénomène propagandiste puisque, autant que ces pays totalitaires, ils ont participé à sa création au début de la guerre de 14. Cette guerre marque en effet l'acte de naissance de la propagande dans sa forme moderne. C'est à ce moment-là que l'on prend conscience de l'importance de l'arme psychologique et que l'on s'organise pour utiliser tous les moyens disponibles afin de mobiliser l'ardeur des combattants et susciter l'adhésion des masses. Peu de temps après, avec Lénine et la révolution de 1917, cet outil de guerre va devenir un outil de gouvernement et va s'installer durablement à travers l'insistance sur la lutte des classes et le confltit entre pays communistes et pays capitalistes. A partir de ce moment-là, la propagande a acquis ses principaux caractères. Elle est un moyen d'influence psychologique dont on a pu juger de l'efficacité pour l'action guerrière et politique, elle constitue une technique avec des spécialistes et des bases scientifiques psychologiques et sociologiques. Grâce au développement des moyens de communication, elle peut toucher en même temps la masse et l'individu.

En ce qui concerne les analyses sur l'efficacité de la propagande et spécialement des vecteurs décisifs que constituent les médias, les années 50 voient le triomphe du nouveau paradigme fonctionnaliste de Lazarsfeld et Katz. Jusqu'au début de la segonde guerre mondiale en effet, c'est le paradigme béhavioriste et le modèle stimulus-réponse qui faisaient autorité. En gros, l'individu était considéré comme une pâte molle où venait s'inscrire mécaniquement le message émis par le propagandiste. L'ouvrage de Serge Tchakhotine le viol des foules par la propagande politique résume parfaitement cette orientation. Le fonctionnalisme, avec sa théorie du double étage de la communication, propose une évaluation différente, en rupture totale acec cette idée d'une influence mécanique et puissante. Il considére au contraire que l'influence des médias est limitée et que les messages sont filtrés par des leaders ou des groupes d'appartenance.

Ellul ne se laisse pas intimider par cette nouvelle orientation des études. Il considère que malgré toutes leurs enquêtes et leurs références scientifiques, ces chercheurs américains tendent à minimiser l'efficacité de la propagande car, note t-il, "ils ne peuvent accepter que l'individu base de la démocratie soit si fragile, parce qu'ils gardent une confiance dernière dans l'homme." Pour lui, l'idée d'inefficacité de la propagande est de nature à diminuer notre vigilance et ne correspond pas à l'expèriencee historique qui montre au contraire, un homme terriblement malléable. Sa réflexion sera centrée sur les dangers que constituent pour les choix et l'action de l'individu, les techniques d'influence psychologiques couplées avec la technique d'organisation et d'encadrement. Il envisage la propagande dans le contexte d'une société technicienne et ne se limite pas à l'étude de la propagande politique mais de toutes les formes propagandistes qui peuvent se donner libre cours dans cette société qui, sans elles, serait menacée de paralysie. Il distingue ainsi plusieurs modalités: une propagande verticale et une propagande horizontale, une propagande irrationnelle et une propagande rationnelle. Mais la distinction qui se révèle la plus importante pour suivre l'évolution du phénomène, est la distinction entre la propagande politique et la propagande sociologique dans la mesure où il fait entrer dans le champ de la propagande, les relations publiques et la publicité.

L' apport d'Ellul à l'étude da la propagande.

Cet apport est triple:

-Plus que sur le propagandiste, l'intérêt se porte sur le propagandé et son besoin de propagande. "Il n'y aurait pas de propagandiste" nous dit Ellul, "s'il n'y avait pas au préalable de propagandés en puissance".

-Alors que l'on considérait jusqu'alors, comme Lasswell par exemple, la propagande comme un simple instrument qui peut être utilisé pour de bonnes ou de mauvaises finalités, Ellul estime que les techniques propagandistes ont les mêmes effets partout, quel que soit l'utilisateur. "La propagande aux mains de n'importe qui, fut-il le plus juste et le mieux intentionné des hommes, comporte par soi-même des conséquences qui sont identiques dans le communisme ou l'hitlérisme ou la démocratie occidentale".

-La propagande ne peut avoir des effets immédiats. Elle exige en amont une longue sensibilisation et une mobilisation énorme et continue de moyens. En d'autres termes, la propagande active ne peut se passer d'une pré-propagande.

Le besoin de propagande de l'individu

En considérant la situation de l'individu dans la société technicienne, Ellul rejoint le constat des théoriciens de l'école de Francfort. C'est un individu isolé,déraciné, qui ne vit plus au sein d'une communauté locale. Perdu dans la masse, ses liens sociaux se sont distendus et il  ne peut plus se référer comme par le passé à des normes intangibles. Particulièrement exposé à la souffrance psychologique, vulnérable à l'idéologie, il peut être manipulé par la flatterie et la séduction. Comme le montrent les "Francfortiens", les dictateurs comme les industries culturelles ne s'en sont pas privés. Mais Ellul va plus loin: les individus ne sont pas soumis à la propagande, ils l'appellent, ils l'exigent. On retrouve là une autre voie d'une "servitude volontaire". Aussi bien, la propagande n'est jamais arbitraire. Elle répond à un besoin, elles est une nécessité. Le propagandiste ne peut pas imposer un comportement ou une opinion sans tenir compte du contexte de réception. C'est pourquoi, il n'y a pas d'un côté un propagandiste actif et de l'autre un propagandé passif. Ce dernier n'est pas une victime. Il se prête à la propagande, y trouve de la satisfaction. Il est un complice involontaire du propagandiste. L'efficacité de la technique propagandiste suppose qu'un certain nombre de conditions soient remplies. Il faut un certain niveau de vie qui met à l'abri de la misère, un minimum de culture qui permette de lire et de raisonner. Surtout, la population doit être attentive à l'information fournie par les médias. Il existe un lien étroit entre information et propagande car cette dernière se greffe sur les faits pour fournir une interprétation particulière. Le consommateur de médias soumis à un flot ininterrompu de nouvelles à besoin d'une vision plus générale des événements. Dans la socité technicienne, la propagande constitue un adjuvant psychologique nécessaire pour faire face à des conditions de vie difficiles, à la pénibilité du travail, à l'angoisse devant l'avenir. Elle offre à l'individu une grille explicative qui peut se réferer à la grande fresque du progrès ou du sens de l'histoire. Elle donne à l'individu isolé une possibilité de participation. Elle est là pour le rassurer et apaiser ses tensions.

Les situations de guerre ou de crise, où l'individu est particulièrement désorienté, montrent avec une grande netteté ce besoin d'adjuvant psychologique. Ce sont des initiatives privées qui ont organisé la propagande au début de la guerre de 14. De la même façon, pendant la révolution française, devant l'ampleur des changements et leur rapidité, il avait fallu fournir de nouvelles valeurs et des orientations pour permettre à la population de se reconnaître et d'agir.

La logique propagandiste

La propagande, quel qu'en soit le contenu tend, à "créer une psychologie et un comportement déterminés". Elle durcit les préjugés, supprime toute pensée critique et, en définitive, détruit la liberté de choix. Elle se traduit par une possession intérieure de l'individu par une puissance sociale. On retrouve ici une idée essentielle de la pensée ellulienne, la non neutralité de la technique, défendue notamment dans son maître livre, la technique ou l'enjeu du siècle publié avant Propagandes. A l'encontre d'une conception largement répandue qui considère que la technique propagandiste peut servir de bonnes fins, Ellul estime que dès lors que l'on y a recours, on en subit dans tous les cas les mêmes effets et les mêmes conséquences. La technique a une logique propre qui s'impose à tout utilisateur. La propagande, qu'elle soit chinoise, soviétique ou américaine, emprunte les mêmes méthodes et est amenée à selectionner toujours le moyen le plus efficace. Certes, la propagande hitlérienne, par exemple, a des spécificités importantes; cependant elle comporte des caractères généraux que l'on retrouve ailleurs. La technique propagandiste peut être utilisée dans les contextes les plus divers. Elle offre un clavier de moyens utilisables par des techniciens insensibles aux buts poursuivis. Leurs critères essentiels sont des critères d'utilité et d'efficacité.

On peut se demander si dans une démocratie l'usage de cette technique n'est pas contradictoire avec les valeurs sur lesquelles est basé ce type de régime politique, à savoir la liberté de choix de l'individu et le recours à l'argumentation rationnelle. Toutefois, le pluralisme des opinions et l'absence de monopole sur les moyens d'information semblent priver une société démocratique de ces facilités. C'est oublier les situations de guerre ou de crise où toute contestation est étouffée. C'est oublier également le conditionnement de l'opinion publique par des médias de plus en plus concentrés et de durcissement du débat d'idées entre des protagonistes partisans qui ne vont pas lésiner sur les moyens pour faire triompher leurs vues. Sur le plan international, les pays démocratiques vont faire de la démocratie un mythe pour séduire les pays non-démocratiques. Pour Ellul, cette présentation de la démocratie aux peuples qui en sont privés est le contraire de ce quelle est véritablement, c'est-à-dire un régime caractérisé paur une manière d'être, faite de tolérance, de respect, de mesure, de choix, de diversité, d'absence de dogmatisme. Faire de la démocratie un mythe, c'est présenter le contraire même de la démocratie. Cette présentation est une arme psychologique qui ne prépare pas les peuples à devenir démocratiques. Le mythe ne peut en effet changer les comportements et les mentalités préexistants, il ne propose que des croyances nouvelles qui vont s'ajouter à d'autres croyances. L'idée démocratique répandue par des moyens qui instituent un comportement non démocratique ne fait que confirmer l'homme totalitaire dans son être. Ces moyens sont des armes de guerre efficaces mais leur utilisation détruit toute possibilité démocratique."Toute démocratie qui se garantit ou se répand par la propagande aboutit à ce résultat d'un succès qui est sa propre négation dans la personne et dans la vérité". (Jacques Ellul Propagandes)

Le temps long de la propagande 

Aucune technique propagandiste ne peut avoir d'effet sur une courte période. Ainsi, on ne peut pas parler de propagande à propos d'une campagne électorale qui dure quinze jours. Ellul distingue la propagande active et la pré-propagande. La propagande active peut être sporadique lorsqu'il y a une action à accomplir ou un engagement à obtenir. Son efficacité est conditionnée par la préparation des esprits effectuée par une propagande en amont qui nécessite, elle, un laps de temps très long. Cette pré-propagande doit rendre l'individu psychologiquement malléable et le mettre en condition pour une action future. Elle nécessite la mobilisation de l'ensemble des moyens médiatiques en utilisant l'efficacité particulière de chaque média. Elle peut également utiliser les relations personnelles ou faire servir à ses fins des institutions comme l'école, la police ou la justice.

L'action propagandiste doit être durable et continue dans la mesure où il s'agit de créer un climat, de procéder à la pénétration nécessairement lente de schèmes de pensée. La création de stéréotypes et de mythes prend du temps comme le montre les exemples passés des mythes de la race, du prolétariat ou du progrès. Le propagandiste doit créer des images motrices et globales qui emportent l'adhésion et refoulent tout ce qui ne se rapport pas à elles. Elles doivent renfermer toute la justice, tout le bien, toute la vérité. Le propagandiste n'est pas libre de faire ce qu'il veut. Il doit tenir compte des tendances profondes de la société et des forces dominantes.

 Le triomphe des idées libérales pendant ces vingt dernières années fournit une bonne illustration de cette analyse de la propagande en deux temps. A partir des années 80 et de l'administration Reagan ont été découverts de nouveaux préceptes propres à assurer la richesse et le bonheur des nations. Ces préceptes claironnés et diffusés un peu partout sont bientôt apparus comme des lois incontestables de portée et d'application générales: le capitalisme mondial est la réponse à tous nos problèmes et on ne saurait entraver le jugement des marchés; tout gouvernement interventionniste est par définition dépensier et incompétent et le meilleur gouvernement est l'absence de gouvernement; l'art de la politique doit être subordonné à la science et à l'économie; l'histoire est finie e l'humanité parvenue à ce stade de perfection n'a plus à se soucier d'autres alternatives. A partir de cette pré-propagande massive et continue pendant plus de vingt ans, la propagande active pourra beaucoup plus facilement exercer des effets dans ses préconisations ponctuelles.

Propagandes d'aujourd'hui

L'approche ellulienne est toujours valable pour analyser l'évolution de la propagande et sa réalité actuelle. Le changement le plus important depuis les années 60 est la place centrale prise par la propagande sociologique, à base de publicité et de clips vidéo. On observe également, en ce qui concerne la propagande politique dans les démocraties, le retour de formes propagandistes grossières que l'on croyait réservées aux pays non-démocratiques.

Une vidéologie omniprésente au service de la société de consommation

Pour le politologue américain Benjamin Barber, la propagande fondamentale à l'heure actuelle est le fait d'unes sorte de "vidéologie" reposant sur les bandes sonores des clips vidéo, films, séries télévisées, slogans publicitaires, chansons, centres commerciaux diffusent une sensibilité commune au niveau mondial. Tout est fait, surtout à travers des images qui font le tour du monde, pour promouvoir les nouvelles valeurs dont les marchés mondiaux ont besoin. C'est aux Etats Unis, dans les années 50 et 60, à partir d'une mobilisation de tous les médias, qu'un genre de vie basé sur la consommation a été promu afin d'unifier une population très disparate et pour écouler les nombreux produits d'une économie industrielle. Ce genre de vie a été ensuite proposé au monde entier comme un modèle à suivre, par l'intermédiaire de la production audiovisuelle américaine. Pour Ignacio Ramonet, le monde s'américanise par les yeux et grâce à la propagande silencieuse portée par les images. Les USA perçoivent aujourd'hui plus de 50% des recettes cinématographiques mondiales et réalisent 75% des exportations mondiales d'émissions télévisées. L'industrie audiovisuelle est devenue le deuxième secteur d'exportation du pays. Dans le même temps, la publicité a envahi tous les écrans du monde. Dans les pays du Nord, chaque individu est soumis en moyenne à près de 1000 impacts publicitaires chaque jour et consacre trois à cinq heures à regarder la télévision.

Cette propagande sociologique vise à adapter l'individu à la société de consommation. Comme le remarque Ellul, elle utilise les mêmes moyens techniques que la propagande politique, même si elle présente des traits distinctifs. Elle impose des modèles de comportement, dicte des attitudes mais en douceur, à travers la persuasion et la séduction. Elle est essentiellement diffuse. A la différence de la propagande politique, elle n'a pas de projet clairement défini ni de vue hégémonique, elle exprime simplement les intérêts dominants et singulièrement ceux du monde de l'économie. Il n'y a pas de chef d'orchestre ni de volonté de prendre le pouvoir mais des influences qui spontanément vont dans le même sens.

Cette forme de propagande est aujourd'hui tellement dominante qu'elle s'impose même dans le champ politique comme le montre l'Italie de Silvio Berlusconi. Le fait de posséder les trois chaînes de télévision privées du pays a grandement facilité sa prise du pouvoir en 1994 et en 2001. Cependant, le contrôle de cet empire médiatique n'est pas suffisant pour expliquer cette réussite qui tient également à l'exportation dans un champ politique en crise des méthodes de marketing et de publicité d'une télévision privée. Berlusconi s'est imposé dans le secteur audiovisuel en inventant une télévision relationnelle proche des goûts des consommateurs, en leur offrant des divertissements et des rêves. Il a fait de la même façon une offre politique au plus près des voeux d'un citoyen considéré surtout comme un consommateur à qui l'on vendrait des biens et des services. Une proximité inédite s'établit alors entre le champ télévisuel et le champ politique qui ont recours à des sondages permanents pour dans un cas construire une programmation et dans l'autre positionner un parti et son leader.

 

 

P81-87

 Cahiers Jacques Ellul N° 4 - La Propagande - Communication Et Propagande de Patrick Troude-Chastenet

 

Le fait est que les slogans du type "soutenons nos soldats" n’ont aucun sens... Et c’est tout l’objectif d’une bonne propagande. Il vous faut créer un slogan auquel personne ne s’oppose, et tout le monde y adhérera. Personne ne sait ce qu’il veut dire parce qu’il ne veut rien dire. Son importance réside dans le fait qu’il détourne l’attention d’une question qu’il aurait fallu poser : soutenez-vous notre politique ? Mais ça c’est une question qu’on n’a pas le droit de poser.

Noam Chomsky

 

 

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