MANIPULATION des masses par la TELEVISION

Entretien avec AL GORE

-j'ai lu que vous estimez qu'il y a une crise dans la démocratie. Quel est son lien avec la difficulté de trouver les solutions à la crise climatique?

-La circulation de l'information qu'avait permise la révolution de l'imprimerie a créé les bases des Lumières, au XVIII° siècle. Les individus ont pu participer à la discussion publique et, bientôt, une méritocratie des idées a émergé. Le succès des idées individuelles a commencé à dépendre de leur intérêt public. Cette écologie de l'information a formé la base de la démocratie représentative, en France comme aux Etats-Unis. Mais, il y a cinquante ans, la télévision est devenue la source dominante d'information. Dans mon pays, sa domination est maintenant écrasante. En dépit d'Internet, elle gagne en importance d ' année après année. Chaque Américain la regarde en moyenne quatre heures et demie par jour.

-Donc, la crise de la démocratie provient de la domination de la télévision?

-La télévision est un médium à sens unique. Elle est pilotée par les annonceurs, qui l'utilisent pour vendre des produits, et pour capter l'audience la plus large avec le dénominateur commun le plus bas. Aux Etats Unis, le dialogue politique est maintenant conduit pour l'essentiel au moyen d'annonces télévisées de trente secondes. L'influence malsaine de l'argent en politique découle largement de la nécessité pour les hommes politiques de rassembler assez d'argent pour se payer des annonces. Nous avons des élections dans une trentaine de jours. 80%  du budget des candidats est employé à acheter des spots télévisés. Et ces spots ne ressemblent pas aux textes de Voltaire ou de Thomas Paine!" Il rit.

"ils sont plutôt sur le mode "Achetez Coca-cola"?

-Oui, ou alors des images de Ben Laden, de Saddam Hussein, ce genre de choses. L'espace necessaire en démocratie pour échanger des idées complexes et des informations abondantes s'est drastiquement réduit. La veille du jour où le Sénat a voté la guerre en Irak, un sondage a montré que 77% des Américains croyaient que Saddam Hussein était à l'origine de l'attaque du 11 Septembre. Ce jour-là, le Sénateur Robert Byrde a interpellé ses collègues, au Sénat: "pourquoi cette salle est-elle vide?, a-t-il demandé, pourquoi cette maison est-elle silencieuse?" La chambre était vide parce que les sénateurs tenaient des réunions destinées à lever des fonds pour se payer de la publicité télévisée. Et la maison était vide parce que ce qui se dit au Sénat est maintenant largement hors de propos: les élus pensent que ce qui compte est ce qui est dit dans les spots de trente secondes. Alors, sur des questions aussi complexes que la crise climatique, qu'il est si difficile d'appréhender..."

Al Gore allait connaître les mois suivants une célébrité mondiale qui culminerait avec l'attribution du Prix Nobel de la paix en 2007, en récompense de sont travail pédagogique sur le changement climatique. Il allait aussi publier The Assault on Reason. C'était une charge contre le régime de M.Bush, mais il y développait son argumentation sur la base destructrice de la télévision dans les démocraties modernes. Le livre reçut un accueil médiatique, disons, réservé.

Comme tout ce qu'écrit Gore, l'ouvrage est convaincant et bien informé. Selon lui, la démocratie repose sur la délibération publique, et les médias y tiennent une place essentielle. Mais l'échange d'arguments rationnnels qui forme "la conversation de la démocratie" a été transformé par l'avénement de la radio et des techniques de manipulation d'opinion.

"La communication fondée sur la psychologie, écrit-il, a été d'abord développée par Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud. Bernays a adapté les idées révolutionnaires de son oncle pour créer la science moderne de la persuasion de masse-assise non sur la raison, mais sur la manipulation des sentiments subconscients et des impulsions".

L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie. P 86-88

Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général.

Karl Marx

Il semblerait que la nature de l’ultime révolution à laquelle nous avons à faire face est précisément celle-ci : nous sommes en train de développer toute une série de techniques qui permettront aux oligarchies aux commandes - qui ont toujours existé et qui probablement existeront toujours - d’amener les gens à aimer leur servitude.

Aldous Huxley